Bougre de Lam
D’abord, je lui avais dit, moi, à Lam, de ne pas poser ses sabots là. Mais on ne m’écoute jamais, moi ! Je ne suis qu’un canasson, tout juste bon à courir les pistes, mon Harkonnen sur le dos. Et encore, je ne suis pas né avec une selle d’argent, moi, mais je ne suis pas non plus la dernière mule venue.
Bon, je m’égare, revenons à nos moutons, ou plutôt, revenons à notre kulon.
Car Lam, c’était un kulon. Son Atréides de Maître l’avait traîné du Faux Mur Sud jusqu'à la Chaîne de Sihaya.
Lam, tout kulon qu’il soit, c’était mon ami.
On s’était rencontrés à la bataille d'Arrakeen.
Vous l’avez compris, Lam était du côté des Atréides et moi du côté des bons. Ce n’est pas pour dire que les Atréides sont mauvais, mais que voulez-vous, les vainqueurs écrivent l’Histoire.
Moi, j’ai connu la horde sauvage des Fremen, Billy the Harkonnen, Davy Crock'Atréides…
Bref, ce jour-là, Lam avait manqué finir en petites saucisses grillées. Son Atréides venait juste de tomber et le tireur le visait encore. J’ai senti que ce bougre d’âne ( enfin de Kulon, mais tout le monde sait qu'un Kulon, c'est un âne ) avait besoin d’un coup de sabot. J’ai donc planté les miens dans le dos de l’idiot qui allait éteindre la petite lumière dans le regard de Lam.
C’est cette petite lumière qui m’a fait dire que cet âne-là, mon poulain, c’était pas une bête comme les autres ! Et je n’avais pas tort.
Lam adorait les mathématiques, et il savait lire ! La première fois que je l’ai entendu braire de rire à la lecture d'une bobine de shigavrille, j’ai cru que j’allais avoir une crise cardiaque. Une crise cardiaque à un kulon, on n’aura jamais vu ça, me direz-vous ! Mais figurez-vous que cela arrive plus souvent qu’on ne le pense. J’ai perdu deux juments et un étalkulon de mes amis, qui sont morts comme ça, en pleine bataille. C’est humain de croire qu’un bon bourrin, il va toujours avancer, sans jamais renâcler, ni hennir de protestation.
Mais je m’égare encore, c’est mon défaut, je sais, dès mes premières années de corral, on me l’avait dit que je hennissais trop. Même dans mon sommeil, je hennis ! C’est pour dire !
Lam, c’était pas un kulon comme les autres, bon d’abord, c’était un âne, c’est une excellente raison, je sais, merci de me le rappeler, mais bon, pour moi, Lam, c’était comme un frère d’élevage. Il avait cette lumière dans les yeux.
Je l’aimais bien, même s’il avait des goûts bizarres : par exemple, il adorait les glaïeuls. Quelle idée pour un âne ! Et s’ils lui ont creusé un trou quelque part, pour le mettre dedans, j’espère qu’ils ont planté des glaïeuls dessus, mais je n’y crois pas trop. Il n'y a que dans l'hémisphère sud qu'on puisse planter quelque chose sur cette planète aride, et ça mon harkonnen ne le sait même pas, ce sont les kulons des fremen qui nous ont fait passer l'info.
Donc, depuis la bataille d'Arrakeen, Lam et moi avons décidé de partager le même Harkonnen. Slim.
L’avantage avec Slim, c’était que la horde sauvage, la bataille d'Arrakeen, les lasers sifflant aux oreilles, tout ça, c’était terminé. Il était tranquille, Slim.
Le matin, il nous laissait du temps, pour nous rouler un peu dans le sable chaud du désert, près du campement. Pendant ce temps, il se livrait à son rituel, consistant à boire une sorte de mélasse noire, qu’ils appellent ça café d'épice, eux, les Harkonnen. C’est une espèce de drogue sans laquelle il serait incapable de distinguer le petit Lam du beau kulon que je suis.
Ensuite, tout le temps, on cheminait dans le désert, allant au gré de notre chercheur d'épice qu’est Slim. Bon, il ne trouvait pas grand-chose. D’ailleurs, il ne creusait pas beaucoup, je trouve, mais cette vie semblait lui convenir. J’avançais d’un bon sabot, Lam juste derrière moi. C’est moi qui portais le Harkonnen, et lui l’épice J’avais beau râler, hennir, c’était ainsi, à moi le gros sac de Slim plein de café d'épice et de semuta, et à lui les sacs quasi vides.
Parfois, on faisait de mauvaises rencontres, mais quand les autres kulons voyaient que nous n’avions rien à dérober, ils entraînaient leurs contrebandiers ailleurs.
Et puis, voilà, un soir, tout a basculé.
Je ne le sentais pas ce chemin à flanc de montagne. Mais Slim insista, et derrière, ce têtu de bougre de Lam poussait. Bref, on a pris ce passage étroit. A gauche, un mur de roche. A droite, un dangereux ravin. J’ai murmuré un petit hennissement d’avertissement à Lam, pour qu’il fasse gaffe où il posait ses sabots, mais voilà, c’était sans compter sur la dynamite.
On trouve de tout dans le désert. Du sable, des Vers géants, des contrebandiers, des Fremen parfois, et surtout des filons d'épice. Ben, là, on a en a trouvé un drôle de filon : un bâton de dynamite ! C’est Lam qui l’a trouvé. Je ne sais pas s’il a su ce qui arrivait, moi-même, j’ai senti un souffle terrible, avec un bruit épouvantable, j’ai senti ma queue se roussir, et j’ai bondi en avant. Soudain, je me suis senti léger. Normal, ce gros sac de Slim avait vidé les étriers. Je n’allais pas le remettre en selle une fois encore ! Je n’ai pas attendu mon reste.
Quand enfin tout s’est calmé, j’ai vu qu’il manquait un bout de piste derrière moi, Lam et Slim avaient été entraînés par l’explosion.
Mon pauvre Lam, je lui avais dit de ne pas fourrer ses sabots n’importe où ! Et dire que la veille, il me parlait de sa passion des mentats, et me parlait du concept délicat de la dichotomie !
Lui qui a fini « dichotomisé » par l’explosion !
